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En France, un antisémitisme de plus en plus visible ?

1 images En 2019, des tags antisémites avaient été découverts sur les murs d’une mairie de l’est de la France. © AFP or licensors
Simon Tilquin

 Publié à 06h00  Mis à jour à 11h50

Une stèle de Simone Veil recouverte de croix gammées a été découverte par la gendarmerie française ce mercredi. Une enquête a été ouverte après la révélation d’un site cartographiant une liste de personnalités juives. Une manifestante, proche des milieux d’extrême droite, arrêtée après une pancarte antisémite lors d’une manifestation anti-pass sanitaire.

L’antisémitisme semble s’exprimer de plus en plus librement dans l’espace public français. Mais y a-t-il une recrudescence de l’antisémitisme en France ? Des liens peuvent-ils être établis avec la mouvance complotiste ?

Une liste de personnalités juives, poncif antisémite de l’extrême droite française

Le 10 août dernier, un site antisémite, reprenant le nom de diverses personnalités de confession juive, est mentionné sur Twitter et fait l’objet de plusieurs signalements sur la plateforme Pharos, un site web créé par le gouvernement français pour signaler les comportements ou contenus illicites.

Ce site reprend le nom d’un journal antisémite, d’avant la deuxième guerre mondiale, nommé “Je suis partout”, et comprend une sorte d’arborescence de plusieurs milieux économiques, politiques, culturels ou encore médiatiques dans lesquels on retrouve les noms des personnalités de confession juive. Le site est vite signalé au parquet de Paris, grâce à Pharos, qui s’en saisit et ouvre une enquête. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, réagit lui aussi avec un tweet mentionnant le site internet.

C’est un site peu fréquenté“, nous dit Maxime Macé, journaliste au quotidien français Libération et spécialiste de l’extrême droite. “Avant la mention de Gérald Darmanin, ce site n’était partagé que sur un forum lié au site néonazi Démocratie Participative et sur le blog d’un complotiste, actif surtout sur la pandémie de Covid-19, Hayssam Hoballah.

Ce genre de liste, c’est en quelque sorte le b.a.-ba de l’extrême droite antisémite“, explique Maxime Macé. “C’est cette idée que les juifs s’entendent entre eux pour influencer et contrôler la société, repris, par exemple, dans Mein Kampf.

“Qui ?”. Une question reprise comme étendard de l’antisémitisme

Quelques jours auparavant, c’est un autre fait repris dans les médias français, qui suscite l’indignation. Une pancarte antisémite promenée publiquement dans la manifestation anti-pass sanitaire de Metz qui s’est déroulée le samedi 7 août. Sur cette pancarte on retrouve un symbole référence de l’extrême droite avec cette question : “Mais Qui ?”.

La pancarte est accompagnée de noms de différentes personnalités françaises. Cette pancarte, tenue par une enseignante, ancienne membre du Rassemblement National (parti de Marine Le Pen), fait le tour des réseaux sociaux et choque l’opinion publique.

Ce “Qui ?” vient d’une vidéo de la chaîne d’information en continu “CNEWS” dans laquelle Claude Posternak, un journaliste, demande à un ex-général, Dominique Delawarde, de lui expliquer de qui il parle quand il mentionne un certain “Qui” qui contrôlerait la “meute médiatique”. “L’extrême droite s’en est servie pour le transformer en blague, en singeant la posture de Claude Posternak“, explique Maxime Macé.

Ici encore, on retrouve le poncif de l’extrême droite selon lequel tout serait toujours relié à la communauté juive, en particulier dans les médias.

Une recrudescence de l’antisémitisme ?

Bien qu’on constate plusieurs actes antisémites ces derniers jours, “sur le court terme, on ne peut pas parler de recrudescence“, explique Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch (Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot). “L’antisémitisme a toujours existé et est toujours bien présent dans notre société. Il était là il y a 2 ans, il est encore là aujourd’hui.


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Ces 15 dernières années, on a assisté à plusieurs meurtres de Français juifs par d'autres Français, au seul motif qu'ils étaient juifs. De plus, les agressions antijuives représentent une part démesurée du total des agressions à caractère raciste, alors que les Juifs ne représentent peut-être qu'1% de la population française“, détaille Rudy Reichstadt. “L’affaire Ilan Halimi, les attentats commis par Mohammed Merah ou le meurtre de Mireille Knoll prouvent que l’antisémitisme meurtrier existe bel et bien.

Une sphère complotiste ambiguë sur l’antisémitisme ?

D’après Rudy Reichstadt, “les références à la Shoah, à la dimension génocidaire, dans les manifestations de Gilets Jaunes, des sceptiques du Covid, d’antivax ou encore d’anti-pass sanitaire, sont clairement antisémites et ont choqué beaucoup de personnes“.

L’Holocauste s’est banalisé dans certains milieux

Néanmoins, ajoute l’expert, “il faut penser la complexité du phénomène antisémite et nuancer les choses. Les préjugés anti-juifs ont fortement reculé par rapport à la période de l'immédiat après-guerre.

“Leur dimension antisémite n’est peut-être pas comprise par tous“, nous dit Maxime Macé. “L’Holocauste s’est banalisé dans certains milieux. De plus, les références antisémites sont à mettre au discrédit de quelques-uns et ne représentent pas tous les manifestants.”

Si certains récents événements à caractère antisémite ont choqué dans l’opinion publique française, ajouté à cela un contexte particulièrement tendu autour de la crise sanitaire, une éventuelle recrudescence reste à nuancer. Toutefois on observe le recours à des références antisémites dans des milieux d’extrême-droite surfant parfois avec des thèses complotistes.