FIGAROVOX/TRIBUNE – Il n’y a pas d’islamisme modéré, juge Barbara Lefebvre. Selon l’enseignante et essayiste, l’attentat contre Samuel Paty est le fruit de trente ans de mollesse et de tiédeur.

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l’auteur de Génération j’ai le droit (éd. Albin Michel, 2018).


En quittant son collège ce vendredi après-midi, Samuel Paty était probablement soulagé d’être en vacances. Ces sept premières semaines de cours furent éprouvantes entre les contraintes des mesures sanitaires, puis début octobre la tourmente, à la suite des attaques venant d’un parent d’élève. Ce dernier trouva assistance auprès d’un islamiste pro-Hamas membre du Conseil des imams de France, du CCIF, de la mosquée de Pantin. Ensemble, ils lancèrent une campagne mensongère sur les réseaux sociaux qui s’apparente à une fatwa contre Samuel Paty.

Dans cette épreuve, Samuel Paty se sentait-il seul ou soutenu par ses collègues comme il se devait? Peut-être a-t-il pensé que les vacances apaiseraient les tensions pour qu’il retrouve avec enthousiasme ses élèves le 2 novembre. Il regagnait donc son domicile, à pied, en cette fin d’après-midi lorsqu’il quitta brutalement Conflans-Sainte-Honorine pour se retrouver plongé dans l’Algérie des années GIA, dans la Syrie de l’Etat Islamique, dans l’Afghanistan des Talibans, dans le Nigéria de Boko Haram, dans le Mali des Signataires par le sang.

Car, par éclipses régulières, voilà où tombe notre France d’aujourd’hui. En quelques instants, une vie, des vies, basculent dans un autre espace-temps: celui du jihad. L’effroi nous saisit, l’émotion nous envahit, des hommages sont organisés. Mais jusqu’à présent, aucun combat sérieux contre le cancer de l’islam politique n’a été engagé. Enfermés dans le déni ou l’indifférence, depuis Creil en 1989, nos dirigeants ont préconisé l’homéopathie, puis après 2015 les lois anti-terroristes relevèrent du traitement antibiotique, tout aussi inefficace pour traiter un cancer.

Il fallait une chimiothérapie, doublée d’une longue radiothérapie en raison des nombreuses métastases résultant de trente ans de déni. Aujourd’hui, où est le dirigeant qui oserait un traitement de choc de dernier recours, prêt à ébranler tout le corps social pour cibler une minorité tyrannique mortifère?

Il regagnait donc son domicile, à pied, en cette fin d’après-midi lorsqu’il quitta brutalement Conflans-Sainte-Honorine pour se retrouver plongé dans l’Algérie des années GIA

L’islam politique est «la maladie de l’islam» comme l’écrivait Abdelwahab Meddeb. L’islamisme est d’abord l’affaire des musulmans: à eux de s’en tenir à distance s’ils prétendent que leur foi est apolitique et pacifique. Aux musulmans de ne pas adopter les modes de vie, les codes vestimentaires, les pratiques dévotes, les idées racistes, antisémites, sexistes, des islamistes. Vivre dans une démocratie laïque comme la France est pour les musulmans une opportunité extraordinaire pour se distinguer des islamistes.

Hélas, en se ramollissant depuis quarante ans dans ses principes fondateurs, en tombant souvent dans le clientélisme politicien le plus vil, la République a laissé croire aux musulmans que l’islamisme était «une opinion comme une autre». Il y avait des «Talibans modérés», des «salafistes quiétistes», des femmes déguisées en fantômes ambulants transformées en parangons du combat féministe… Le relativisme du «pas d’amalgame» a rendu attractif la radicalité islamique pour une partie des musulmans de ce pays, par ailleurs nourris d’une rancune postcoloniale que des militants, soi-disant antiracistes, se chargent d’alimenter depuis deux décennies.

L’islam politique est aussi une maladie pour la majorité des Français qui ne sont pas musulmans. Les jihadistes transposent en actes les doctrines salafistes, fréristes et wahhabites et leur projet génocidaire, leur suprémacisme totalitaire. Rien d’étonnant qu’Hitler soit un modèle pour tant d’islamistes: depuis le Grand mufti de Jérusalem al-Husseini installé à Berlin pendant la guerre jusqu’au prédicateur al-Qaradawi protégé par le Qatar. Pour entraver ce totalitarisme, il faut agir en expulsant du territoire français les criminels et délinquants jihadistes et les idéologues qui sont leur carburant.

Expulser définitivement les islamistes étrangers et binationaux (qu’on peut déchoir de la nationalité française sans les rendre apatrides). Surveiller constamment les ressortissants français signalés, les sanctionner, notamment par la suspension de toutes aides sociales. En outre, une République qui protège devrait mieux veiller sur les milliers d’enfants vivant dans ces milieux éducatifs toxiques.

L’islamisme est d’abord l’affaire des musulmans : à eux de s’en tenir à distance s’ils prétendent que leur foi est apolitique et pacifique

N’étant pas membre du club des optimistes, je crains que le meurtre de Samuel Paty ne conduise pas aux mesures strictes qui s’imposent après trente ans de laisser-faire. L’émotion des hommages recouvrira encore notre colère. L’horreur de ce crime islamiste fera taire quelques instants les «oui, mais…», tant entendus après Charlie hebdo, et envers Mila. Si Samuel Paty n’était pas décédé mais que son conflit avec le parent d’élève avait été médiatisé, on imagine qu’un bateleur de la télé-caniveau aurait organisé un débat «oui-non» où ses chroniqueurs auraient éructé contre ce prof qui montre des caricatures et «offense des enfants musulmans». Comme ils avaient calomnié Mila, qui vit sous protection policière.

Samuel Paty n’a fait que son travail, appliquant le programme d’éducation civique. Il a œuvré pour élever les jeunes esprits qui lui étaient confiés en leur proposant de penser par eux-mêmes, probablement la plus difficile des attitudes intellectuelles dans notre monde de pensées toutes faites, de taxinomie intellectuelle pathologique. Il voulait leur rendre le monde moins binaire, moins obscurantiste. Les majorités pacifiques sont toujours renversées par des minorités ultraviolentes. L’immense majorité de ses élèves a compris sa démarche, ils se sont ouverts au débat démocratique.

Une infime minorité a opté pour le jihad: la parole mensongère d’une enfant relayée par des parents intégristes soutenus par un militant islamiste et diverses officines de même obédience, puis l’exécution par le jihadiste. Tout cela pour deux dessins. Des caricatures qu’il faut continuer à montrer aux élèves, en expliquer le sens politique. C’est un devoir pour Samuel Paty, pour les morts de Charlie. Un devoir pour que nous ne devenions pas tous des morts-vivants dans une France en sursis.


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